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Il pensait y rester trois ans, quatre tout au plus : Pierre LOPEZ (diplômé du Programme Grande École en 1999) entame sa douzième année à Sydney, ville la plus peuplée d’Australie et du continent océanien. Les 17 000 km qui le séparent de son pays natal et les épreuves traversées en famille lui ont permis de prendre du recul sur une expérience qui a changé le cours de sa vie, mais aussi de répondre à la question que beaucoup se posent : le pays du kangourou est-il vraiment un Eldorado pour les esprits aventuriers du monde entier ? Réponse avec un témoignage passionnant et riche en anecdotes.
Quel a été le point de départ de votre aventure australienne en 2013 ?
J’avais exprimé en interne mon désir de mobilité géographique sans spécifiquement cibler l’Australie. L’opportunité s’est présentée lors d’un déjeuner d’apparence anodine en décembre 2012 lors duquel mon manager de l’époque m’a proposé de partir à Sydney pour créer une équipe et structurer une fonction Achat (Procurement) locale. Mon épouse et moi venions d’accueillir notre deuxième enfant, mais cela ne nous a pas freiné : la décision de partir a été prise le soir même. Tout s’est ensuite accéléré puisque nous nous sommes installés en Australie trois mois plus tard.
Cette installation s’est-elle bien déroulée malgré le peu de temps de préparation dont vous avez disposé ?
Mon employeur a facilité notre arrivée en nous fournissant un appartement provisoire et une voiture pour débuter. Cela nous a permis de prendre nos marques avant de nous lancer dans la recherche d’un logement. En parcourant les annonces, nous nous sommes mis à rêver devant des photos de résidences somptueuses, certaines avec vue sur mer, d’autres agrémentées d’immenses piscines. Nous étions surpris par les prix indiqués, étonnamment bas, presque trop beaux pour être vrais. Nous avons mis un peu de temps à comprendre la signification de la mention « pw » indiquée à côté des loyers. Ces derniers sont affichés par semaine (per week), et non par mois, comme nous en avons l’habitude en France ! Cette anecdote a ramené nos rêves immobiliers à une réalité plus pragmatique !
A partir de quel moment vous êtes-vous sentis véritablement intégrés ?
Comme de nombreux étrangers, il nous a fallu un peu de temps – environ six mois – pour trouver nos marques et bâtir un réseau d’amis. Les débuts peuvent être déstabilisants, surtout dans un pays aussi éloigné, mais il faut se faire confiance et faire preuve de patience. Dans ce contexte, les liens tissés sont souvent très forts : le fait de partager le même quotidien et les mêmes problématiques crée une forme de solidarité naturelle entre expatriés, mais aussi avec certains locaux. Par exemple, lors de l’Australia Day, nous venions à peine de rencontrer une famille franco-australienne et elle n’a pas hésité à nous inviter à le passer avec elle. Nous sommes ensuite devenus très proches. Ce genre de geste, simple mais sincère, rend l’intégration non seulement possible, mais profondément humaine.
Vous entamez votre 12e année en Australie. Aviez-vous prévu de rester si longtemps ?
Notre plan initial était de partir au bout de trois à quatre ans. Le tournant s’est produit lors de l’expiration de notre premier visa. Notre employeur, SUEZ, nous a proposé de nous sponsoriser pour obtenir la résidence permanente (Permanent Residency). Face à cette opportunité de stabiliser notre situation en Australie, notre décision a été immédiate et nous n’avons pas hésité une seconde à envisager une installation durable. Depuis, nous avons franchi une autre étape majeure en devenant citoyens australiens en 2019.
Avec le recul dont vous disposez, existe-t-il des différences particulières entre le monde du travail français et l’australien ?
Elles sont notables, du moins d’après ma propre expérience. En Australie, le turnover est nettement plus élevé : il n’est par exemple pas rare de recruter à nouveau une personne qui avait quitté l’entreprise quelques années auparavant. L’ambiance de travail est également plus détendue, avec une relation à la hiérarchie souvent moins formelle que dans les grands groupes en France. Autre différence : le rythme de travail. La notion d’équilibre entre vie professionnelle et personnelle est particulièrement ancrée dans la culture locale. Personne ne s’étonne de voir un CEO saluer ses équipes à 16h30 avant de partir jouer au golf.
Quels sont les atouts principaux de « l’Australian way of life » ?
L’un des aspects les plus agréables est sans aucun doute la qualité de vie : le climat, l’espace, la nature omniprésente et le fait de vivre beaucoup dehors qui plaît particulièrement aux enfants. Les Australiens ont un mode de vie axé sur l’équilibre. On travaille sérieusement, mais on laisse une vraie place aux loisirs, aux proches et au sport. Le week-end débute souvent dès le vendredi après-midi, et on a cette impression que le temps s’écoule différemment, de façon plus détendue. Sur le plan de l’éducation, nous avons été agréablement surpris : les enfants sont épanouis, moins sous pression qu’en France, et encouragés à développer aussi bien leur créativité que leur esprit critique. Quant à la culture, elle est ouverte, cosmopolite, même si l’on peut parfois ressentir un certain fossé par rapport à la richesse historique et culturelle dont on a l’habitude en Europe.
L’Australie est régulièrement présentée comme un véritable eldorado et une terre d’opportunités. d’après votre expérience, quelle réalité se cache derrière cette affirmation ?
Il est vrai que l’Australie est souvent idéalisée, perçue comme une terre promise offrant une vie plus douce, de l’ouverture et des opportunités professionnelles faciles. Mon expérience personnelle confirme en partie cette vision : c’est indéniablement un pays incroyable où nous avons pu élever nos enfants dans un cadre magnifique, sain et particulièrement sûr. Le marché du travail y est également très dynamique, permettant des progressions de carrière potentiellement plus rapides qu’en France, souvent accompagnées de salaires plus élevés. L’Australie valorise la compétence et la motivation, offrant des opportunités basées sur la valeur démontrée, parfois indépendamment de l’âge ou des diplômes initiaux. Cependant, cette image d’Eldorado doit être nuancée et plusieurs aspects essentiels sont à considérer avant de se lancer dans un tel projet de vie…
Lesquels ?
Un sentiment d’isolement géographique : l’Australie est loin de l’Europe. Les retours en France sont coûteux, longs et fatigants, un défi particulièrement important pour ceux qui voyagent avec des enfants. Cette distance peut peser sur les liens familiaux et amicaux.
Une forme de précarité professionnelle : si le marché du travail est dynamique, cela signifie aussi moins de sécurité de l’emploi. Les protections salariales sont minimes comparées au système français. Il faut être mentalement préparé à la possibilité de perdre son emploi et à devoir rebondir rapidement, car l’État australien offre peu de filets de sécurité sociale, surtout pour les non-résidents permanents.
La dépendance au visa : pour de nombreux expatriés, le visa est directement lié à l’emploi. Perdre son job peut entraîner sa révocation quasi immédiate, laissant un délai très court pour trouver une solution ou quitter le territoire. C’est une source de stress non négligeable.
L’impact sur la retraite : pour ceux ayant déjà cotisé en France, il est crucial d’anticiper à quel point une expatriation en Australie affectera les futurs droits à la retraite dans le système français.
Comment imaginez-vous les années à venir ?
Aujourd’hui, nous réfléchissons sérieusement à un éventuel retour en France. Après plus de douze années en Australie, l’envie de se rapprocher de notre famille se fait sentir. L’éloignement géographique est parfois difficile à vivre, surtout quand les visites en France ne peuvent se faire qu’une fois par an. Avec le temps, cela pèse de plus en plus. Nous avons la chance d’être citoyens australiens, ce qui rendrait un retour plus simple et nous permettrait de garder une certaine flexibilité si nous souhaitions faire des allers-retours. Mon fils, de son côté, envisage ses études en France et cela joue évidemment un rôle important dans notre réflexion. C’est la première fois depuis notre départ que cette idée prend autant de place dans nos discussions familiales…
Que diriez-vous au Pierre de 2013 qui s’apprêtait à s’envoler pour l’Australie ?
Je lui dirais de foncer, mais en étant bien préparé. L’Australie est un pays formidable, dynamique, accueillant, et plein d’opportunités. Mais comme toute expatriation, elle demande un vrai temps d’adaptation – que ce soit sur le plan administratif, professionnel ou culturel. Il est essentiel de bien se renseigner en amont sur les visas, le fonctionnement du marché du travail et d’adapter son CV et son discours aux codes locaux. Ici, par exemple, le networking est essentiel, souvent plus déterminant qu’un simple envoi de candidature. Au-delà de l’aspect professionnel, je pense que l’expatriation est une expérience incroyablement riche sur le plan personnel et familial. Elle pousse à sortir de sa zone de confort, à réinventer ses repères, à s’ouvrir aux autres. En tant que famille, c’est une aventure qui soude. On partage les mêmes défis, les mêmes découvertes, et on construit des souvenirs uniques, souvent très forts. Les enfants, quant à eux, développent très tôt une vraie capacité d’adaptation, une ouverture d’esprit et une richesse culturelle qu’ils garderont toute leur vie.
Portrait
Diplôme IÉSEG en poche, Pierre part aux USA dans le cadre d’un CNSE (ancien VIE) pour Thales et mène pendant deux ans des missions de veille technologique. De retour en France, il poursuit son parcours chez Thales, cette fois-ci au siège du Groupe.
Souhaitant opérer un premier virage professionnel, il se souvient avoir particulièrement apprécié son stage de 4e année dans le domaine des Achats. Il s’y tourne naturellement, d’abord dans une PME, avant de rejoindre l’équipe Procurement de la filiale ingénierie de SUEZ. Il est aujourd’hui « Head of Procurement » à Sydney.
Cet article a été rédigé par Luna Créations pour le magazine IÉS, le magazine de IÉSEG Network, l’association des diplômés de l’École. Retrouvez l’intégralité du magazine ici.