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Construire la confiance en Chine

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Jingjing Yao

D’après un entretien avec Jingjing Yao (février 2018) et de son article « Understanding the trust deficit in China: Mapping positive experience and trust in strangers », coécrit avec Zhi-Xue Zhang, Jeanne Brett et J. Keith Murnighan (Organizational Behavior and Human Decision Processes, 2017).

En Chine, il existe traditionnellement une tendance culturelle à la défiance envers les personnes qui leur sont étrangères. Cette caractéristique peut entraver le développement économique lorsqu’il s’agit de faire affaire avec des entreprises étrangères. En étudiant la manière dont fonctionnent les relations sociales en Chine, une équipe de chercheurs a cependant découvert une méthode simple pour instaurer la confiance.

En Occident, l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. En Chine, celui qui devance les autres essuie les plâtres. L’Occident valorise la prise de risque tandis que la Chine révère la prudence. L’aversion au risque des Chinois se traduit également par une défiance généralisée envers les personnes que leur sont étrangères. Après tout, la confiance consiste à se rendre volontairement vulnérable, à prendre le risque de la trahison de l’autre… En 2014, dans une enquête sociale menée à grande échelle, The Blue Book of Social Mentality, la moitié des participants estimait que « la plupart des gens ne sont pas dignes de confiance » et seulement 30 % d’entre eux faisaient confiance aux étrangers. « Mes propres observations tout comme les journaux et les travaux de recherche universitaire confirment l’impression générale que les Chinois n’accordent pas leur confiance facilement. », indique le professeur Jingjing Yao. Avec ses coauteurs il définit les ‘étrangers’ en fonction d’un concept phare de la culture chinoise, appelé guanxi. Cette notion désigne un réseau de relations informelles entre des individus unis par des normes sociales qui imposent une loyauté et des engagements mutuels. « Le guanxi crée une frontière nette entre un groupe intérieur qui rassemble la famille et les amis d’une part et un groupe extérieur d’autre part, où figurent toutes les personnes avec lesquelles vous n’avez pas de relations, considérées de fait comme des étrangers. », explique-t-il.

La confiance comme socle des affaires

Comme on peut logiquement s’y attendre, les entrepreneurs étrangers qui essaient de s’implanter sur les marchés chinois, appartiennent au cercle extérieur du guanxi. Problème : la défiance dont ils font l’objet pourrait représenter un obstacle majeur pour le développement économique international de la Chine. Cela est d’autant plus vrai que les interactions professionnelles entre Chinois et étrangers sont appelées à s’intensifier pour suivre l’évolution des marchés à l’échelle mondiale. L’universitaire américain Francis Fukuyama, dans son livre The Social Virtues and the Creation of Prosperity, défend même la thèse selon laquelle la confiance est une caractéristique culturelle omniprésente qui influence la prospérité et la compétitivité d’une nation. Fukuyama oppose la réussite économique de « sociétés de confiance » comme le Japon ou l’Allemagne d’une part et la rigidité des « sociétés de défiance » comme la Chine où il pointe du doigt la barrière infranchissable entre cercles extérieurs et intérieurs. Le professeur Yao, quant à lui, fait valoir que la nature élastique du guanxi permettrait de redéfinir cette frontière.

Instaurer la confiance par les expériences positives

Pour lui, la bonne nouvelle, c’est que le manque de confiance peut être surmonté par le biais d’expériences positives vécues avec des personnes appartenant au groupe extérieur. Ces expériences positives initiales créeraient en effet un cercle vertueux favorisant de nouvelles interactions positives avec les étrangers. Les chercheurs ont adossé leur étude à la théorie des contacts intergroupe qui postule que les expériences positives contredisent – et corrigent – les perceptions négatives, réduisant ainsi les préjugés. Ils citent pour exemple les amitiés entre hommes hétérosexuels et homosexuels qui contribuent à faire reculer les attitudes homophobes. Dans un contexte d’affaires en Chine, un partenaire étranger qui accorde une faveur, par exemple l’accès à un nouveau marché, pourrait contribuer à améliorer la perception globale des entrepreneurs étrangers. Selon le professeur Yao, « Cette première perception positive peut ainsi amener l’homme d’affaires chinois à aider un autre partenaire, éventuellement originaire d’un autre pays.»

Changement de perspective, une histoire à la fois

L’échange de comportements entre trois parties (ou plus) est appelé réciprocité indirecte. Ce concept désigne la relation entre les expériences positives vécues avec un individu du groupe extérieur et la confiance accordée aux étrangers. Alors que de nombreux travaux académiques explorent déjà les ressorts de la confiance, le professeur Yao et ses partenaires de recherche ont, eux, identifié précisément ce mécanisme psychologique. Ils appuient leur hypothèse sur une série d’études au cours desquelles des sujets ont été exposés à des récits d’expériences positives avec des membres des groupes intérieur et extérieur, ou ont pris part à des jeux en ligne impliquant le partage d’argent. Les chercheurs ont ensuite utilisé des méthodes de mesure des attitudes et des indicateurs comportementaux pour évaluer la confiance que les participants accordaient aux partenaires “étrangers” qui leur étaient attribués. Dans les quatre configurations expérimentales, l’effet des récits positifs s’est révélé probant. « Avec une simple histoire, par exemple celle d’un garçon demandant de l’aide à un passant inconnu pour renforcer une digue et protéger son village d’une inondation, il est possible de déclencher un changement de perception. », indique le professeur Yao.

Applications pratiques

Toutefois, Jingjing Yao insiste sur le fait que les étrangers doivent comprendre l’importance du guanxi dans la mentalité chinoise. « Ne paniquez pas, c’est normal d’être traité comme un étranger tout au début. » Pour instaurer la confiance, il recommande de rendre service ou d’accorder une faveur afin de générer les expériences positives qui permettront de surmonter la défiance envers les « étrangers » en Chine. « Si vous offrez quelque chose (de l’aide) et que le destinataire en éprouve de la reconnaissance, alors le concept de guanxi implique que les autres membres du groupe intérieur seront tenus de vous rendre la pareille et c’est ainsi que vous pouvez bâtir quelque chose » explique-t-il. Il prévient toutefois que la solution universelle n’existe pas, car la Chine est un pays immense et hétérogène. « Vous n’aurez pas les mêmes expériences à Beijing, à Shanghai ou encore dans des villes américanisées comme Shenzhen. Cela dépend aussi du secteur d’activité. »

Biographie

Jingjing Yao est professeur en négociations internationales à l’IÉSEG School of Management (Lille). Il a obtenu un doctorat en management organisationnel en 2015 à la Guanghua School of Management de l’université de Beijing.

Méthodologie

Les chercheurs ont évalué les effets de trois expériences positives différentes (soutien perçu, aide et comportement de confiance) sur la confiance que des personnes accordaient aux étrangers. Pour ce faire ils ont eu recours à quatre configurations expérimentales, puis ont utilisé des données secondaires issues d’une enquête menée en Chine pour observer les effets de ces expériences au sein et à l’extérieur du groupe sur la confiance accordée aux étrangers.

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