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« On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré ». Cette célèbre citation d’Albert Einstein s’applique à merveille à Endless Play Studio, l’aventure entrepreneuriale initiée en 2024 par Dorothée CLAUSS SEETO (diplômée du Programme Grande École en 2007). Son objectif : former une nouvelle génération qui pense, agit et innove pour un monde plus durable.
Dorothée CLAUSS SEETO, vous vivez en Australie depuis vingt ans. Quel a été le point de départ de cette expatriation ?
Lors de mes études à l’IÉSEG, j’ai eu la chance de partir un an en échange à l’Université de Wollongong. Le pays m’attirait car j’avais déjà rencontré trois Australiens que je trouvais fantastiques (deux d’entre eux étaient professeurs à l’IÉSEG). J’y suis ensuite restée car j’y ai rencontré mon mari. Sur le plan professionnel, j’ai eu l’opportunité d’effectuer en 3e année mon « Projet Co » dans le domaine du développement durable et de la régénération qui me passionnaient déjà à l’époque. Cette passion ne m’a jamais quittée depuis. Je n’ai malheureusement trouvé aucune mission satisfaisante dans ce domaine et après plusieurs années dans le conseil et l’innovation, j’ai décidé il y a trois ans de créer le métier de mes rêves. Ne dit-on pas qu’on est jamais mieux servi que par soi-même ?
Qu’est-ce qui a joué le rôle de déclic ?
Fin 2021, après la naissance de mon deuxième enfant et un congé maternité écourté, j’ai ressenti le besoin d’opérer un virage dans ma vie professionnelle. Quelques semaines plus tôt, j’avais suivi un cours sur l’économie circulaire à Berkeley Extension qui m’avait fait comprendre qu’on ne pouvait pas se diriger vers un monde durable sans faire évoluer de façon drastique nos manières de penser et d’agir. J’ai pensé à mes enfants, au monde dans lequel ils allaient grandir, et j’ai pris la décision de mettre mon temps, mon énergie et mes compétences au service de cette cause. Formée à l’innovation, j’ai d’abord pensé aux problématiques avant d’envisager des solutions.
Comment avez-vous bâti l’offre d’Endless Play Studio ?
J’ai passé plus de deux ans à effectuer des recherches dans des domaines aussi variés que l’éducation, le développement durable, la régénération, l’économie circulaire, les cultures indigènes, le systems thinking, le biomimétisme ou la psychologie comportementale. J’ai suivi des cours, rencontré de nombreux experts et j’ai fait en sorte d’adopter un mode de vie en cohérence avec ce que j’apprenais au fil de mes travaux : plus sain et plus durable. En novembre 2023, j’ai commencé à proposer mes services de formation, de conseil et de coaching aux crèches. En 2024, nous avons déployé notre programme phare de 10 mois avec une crèche réputée et avons obtenu d’excellents résultats. Cela nous a permis d’avoir une référence solide et d’asseoir notre légitimité. Toujours dans cette démarche, j’ai consacré une partie de l’année dernière à la mise en place d’outils destinés à mesurer notre impact et d’actions marketing/ commerciales, mais aussi à la rédaction d’un ouvrage compilant l’ensemble de mes recherches. Pour l’année à venir, j’ai décidé de mettre l’accent sur le marketing et la vente pour poursuivre mon développement. Nous sommes dans une bonne dynamique, je suis très enthousiaste pour la suite de l’aventure…
Que faut-il retenir à propos de la vocation et de la philosophie d’Endless Studio ?
Nous proposons des services de formation, de conseil et de coaching aux crèches et garderies afin de les aider à insuffler une démarche et une éducation au développement durable au sein de leurs structures. Pourquoi choisir un tel public ? Parce que nous estimons qu’il est difficile de faire changer les comportements et qu’il est bénéfique de développer de nouvelles mentalités dès le plus jeune âge. Nous sommes convaincus que les éducateurs du secteur de la petite enfance sont les meilleurs ambassadeurs pour porter nos valeurs et nos convictions.
Comment vous y prenez-vous ?
Notre mission est de fournir à nos clients les outils, les connaissances et la communauté nécessaires au changement systémique dont le monde a besoin. Nous souhaitons ainsi les accompagner sur trois piliers complémentaires : imaginer un monde régénérateur ; se développer en acquérant les compétences nécessaires pour donner vie à la société à laquelle nous croyons et pour laquelle nous nous battons ; leur donner la confiance et l’autonomie indispensables à la mise en place de leurs propres actions. Les lois qui viennent d’être récemment votées en Australie prouvent d’ailleurs que nous sommes dans l’air du temps et que nous répondons aux préoccupations du monde contemporain.
Qu’entendez-vous par là ?
Depuis février 2024, le développement durable est l’un des sept piliers du programme scolaire de la petite enfance. Les établissements sont donc désormais soumis à une obligation réglementaire de mettre l’accent sur cette thématique. Cette démarche va également dans le sens de l’histoire puisque les parents mais aussi les éducateurs sont de plus en plus en demande sur de tels sujets. Ils souhaitent voir leurs enfants s’épanouir dans un monde qui correspond à leurs valeurs et leurs idéaux. Nous souhaitons tous aller plus loin : jusqu’à présent, le développement durable en crèche était assimilé à des activités de jardinage, de compostage, de recyclage et de jeux en pleine nature. Nous envisageons ce sujet de manière holistique, bien au-delà de la seule dimension environnementale. Ce que nous proposons est avant-gardiste et offre des perspectives dont nous ne mesurons pas encore l’ampleur.
Quel bilan tirez-vous des trois années qui viennent de s’écouler depuis votre décision de quitter le monde du salariat ?
Le chemin n’a pas été un long fleuve tranquille : il a été long et semé d’embûches, mais j’estime que rien n’arrive par hasard et que cela a pris le temps qu’il fallait. Aller plus vite n’aurait finalement eu aucun sens car aucune innovation systémique n’est née du jour au lendemain. Les dernières années m’ont beaucoup appris sur les sujets qui me sont chers mais aussi sur moi-même. Je me sens fière de ce que j’ai accompli et déterminée à avancer pas à pas dans la direction que j’ai choisie. Je dois encore améliorer la rentabilité, mais je reste optimiste compte tenu de la dynamique dans laquelle nous sommes et de la marge de progression dont nous disposons.
D’après votre expérience, l’Australie est-elle un pays où il fait bon entreprendre ?
Je ne connais pas toutes les spécificités du modèle français, mais d’après ce que j’ai entendu, le soutien de l’État est bien plus important chez vous qu’en Australie. Ici, la plupart des aides sont privées et proposées par des incubateurs de start-up. J’ai d’abord fait le choix de ne pas les rejoindre, non sans une certaine arrogance, puisque je pensais avoir toutes les connaissances en matière d’innovation. J’ai mis quelques temps à réaliser que l’innovation et l’entrepreneuriat étaient deux sujets bien distincts et que je ne connaissais rien au second. L’autre raison était que je ne souhaitais pas suivre un modèle de start-up dit traditionnelle car l’approche ne me semblait pas alignée avec ma façon d’appréhender le monde de l’entreprise. Depuis, j’ai changé ma façon de voir les choses et j’ai rejoint – et grandement bénéficié de – deux programmes de start-ups axés sur l’économie circulaire et les entreprises sociales.
D’autres prises de conscience ?
Il m’a fallu du temps pour m’entourer des bonnes personnes : des gens capables de soutenir mon idée, mais aussi ma façon de travailler. Endless Play Studio a la particularité d’être une entreprise à impact avant d’être une entreprise à but lucratif. En Australie, le concept d’entreprise sociale n’en est qu’à ses balbutiements et il n’existe pour le moment aucun statut juridique spécifique pour cette forme de société, uniquement des accréditations. Vous êtes beaucoup plus en avance que nous sur ce sujet en France. Un autre élément marquant est culturel et se nomme le « tall poppy syndrome », profondément ancré ici. Même si l’entrepreneuriat est valorisé, les Australiens n’aiment pas celles et ceux qui se démarquent, au contraire de la culture américaine. Cela peut être déstabilisant pour un entrepreneur : il faut véritablement croire en soi et en ses idées !
Que vous ont apporté les années IÉSEG ?
Le « Projet Co » a eu une importance capitale au cours de mon cursus. Mon équipe a travaillé sur le développement durable et la régénération, des thèmes qui n’étaient pas encore sur le devant de la scène en 2004. Ce projet m’a montré qu’il n’était pas nécessaire d’être spécialiste d’un sujet pour se lancer, et qu’à force de travail, de détermination et en s’entourant d’une équipe passionnée, nous étions capables de déplacer des montagnes. Cette expérience m’a appris que tout était possible et je n’hésite pas à me replonger dans ces souvenirs lorsqu’il m’arrive de douter. L’École a toujours mis l’accent sur des aspects aussi variés que la communication, l’art de la présentation et le travail en groupe, qui font toute la différence en tant qu’entrepreneur. Mon unique conseil : suivez votre cœur et prenez des risques, car les seules choses que vous finirez par regretter sont les choses que vous n’aurez pas tentées !
Parcours
Après son stage de fin d’études à Sydney, Dorothée décide de s’installer en Australie en 2007. Elle débute sa vie professionnelle dans le conseil, principalement sur des projets de mise en oeuvre de logiciels.
En 2013, elle intègre Salesforce comme ingénieur conseil en solutions avant de rejoindre l’équi- pe innovation. Director of Strategy Innovation & Design en 2021, elle décide d’opérer un virage professionnel et de voler de ses propres ailes. En 2024, elle fonde Endless Play Studio, sa société de conseil aux crèches et garderies pour un monde plus durable.
Cet article a été rédigé par Luna Créations pour le magazine IÉS, le magazine de IÉSEG Network, l’association des diplômés de l’École. Retrouvez l’intégralité du magazine ici.