« Dans cet écosystème, il faut être passionné, si ce n’est un peu dérangé » : Thibaut DE LA GRAND’RIVE, fondateur de DELOS
À seulement 26 ans, Thibaut DE LA GRAND’RIVE a fondé et dirige l’une des entreprises françaises les plus scrutées dans le domaine de l’IA générative : Delos. Avec son frère Pierre, ingénieur diplômé de l’École polytechnique, il a fondé une plateforme qui ambitionne ni plus ni moins d’être l’alternative mondiale à Copilot. Diplômé de l’IÉSEG (Programme Grande École), Thibaut s’appuie sur un parcours qui lui a donné la confiance nécessaire pour se lancer très tôt et pour oser créer “quelque chose de grand” dans un milieu où les jeunes entrepreneurs sont rarement attendus.
Rencontre avec un fondateur qui revendique l’audace, la lucidité et le travail acharné comme moteurs principaux.
Vous êtes étudiant à l’IÉSEG quand naît Delos. Comment l’idée vous est-elle venue ?
L’inspiration est venue de plusieurs manières. D’abord, grâce à l’IÉSEG, j’ai compris que créer une entreprise n’était pas réservé à une élite. Autour de moi, deux ou trois amis se lançaient dans l’entrepreneuriat pendent leurs études, et cela a donc commencé à me titiller.
Créer une entreprise, c’était pour moi une forme de liberté, une valeur très chère à mes yeux. C’était la possibilité de rêver très grand, très vite. Mon frère a un profil très complémentaire au mien, puisqu’il a une formation d’ingénieur (diplômé de Polytechnique), il est plus expérimenté et maîtrisait très bien l’IA générative. Avant Delos, on avait déjà testé ensemble plein d’idées, allant de la revente de produits d’occasion à des premiers systèmes de développement de sites Internet. Juste avant, on avait même presque lancé une marque de prêt-à-porter alimentée par IA générative, via une extension qu’on aurait ajouté sur MidJourney et sur tous les logiciels de création d’images.
Mon parcours entrepreneurial ne vient donc pas de nulle part. On s’était déjà raté six ou sept fois, avant de lancer Delos. Et c’est précisément ce qui a rendu ce lancement moins effrayant : on savait déjà ce que c’était que d’essayer, on savait comment travailler ensemble avec mon frère, donc passer à l’action ne nous a pas fait peur.
La première idée de Delos ressemblait-elle à ce que l’entreprise est aujourd’hui ?
Pas du tout. Au départ, Delos devait être une nouvelle génération de média : un journal autonome, entièrement personnalisé et capable d’être généré automatiquement en fonction de sources, de thèmes et de langue définis par l’utilisateur. C’était un peu l’ancêtre de notre application « Actu ». Mais on s’est vite heurté aux problématiques des droits d’auteur qui n’étaient pas du tout évidentes et surtout, on n’était pas vraiment passionné par ce secteur. Alors, nous avons créé un cabinet de conseil ; ce qui nous a permis pendant six mois de faire beaucoup de recherches et de comprendre les besoins réels des grandes entreprises en termes d’IA générative. C’est durant cette période que notre vision s’est cristallisée et qu’on s’est dit : « Il n’y a plus aucun doute. Nous devons reconstruire toute la bureautique depuis zéro. Il faut mettre l’IA générative dans le quotidien des entreprises pour de vrai, avec une solution réellement utile. ». C’est comme cela qu’on voulait se distinguer du marché : faire avec l’IA du concret, adapté à la réalité quotidienne des professionnels.
À quel moment sentez-vous que votre approche est la bonne ?
On commence à travailler en janvier 2023, quelques semaines après la sortie de ChatGPT 3.5. On pressent tout de suite que cette technologie va restructurer fondamentalement le secteur tertiaire. Nous ne sommes pas sur un effet de mode, mais bien sur une révolution comme on en connaît tous les 25 ans. C’était le signal parfait pour se lancer tant les opportunités étaient présentes. La question qu’on voulait poser c’est : « Où mettre une IA utile ? » Et à cette question, on peut facilement répondre : dans 90% de nos tâches. Il fallait se lancer.
La croissance n’a pas été immédiate. Avant la première ligne de code et la première mission, six mois et demi passent. Les modèles étaient encore très imparfaits, j’étais encore à moitié à l’école et ni moi ni mon frère n’avions encore de réseau professionnel ou – plus important encore – de légitimité.
Mais une fois la maturité technique atteinte sur Delos, tout s’est enclenché : en sept mois à peine, on est passés à 15 employés à plein temps, sans levée de fonds mais grâce à tous les contrats qu’on a signése en cascade. Assez naturellement, après la conception du produit puis la phase de stabilisation, les fonds d’investissement sont arrivés, moins d’un an plus tard. C’est là que notre croissance exponentielle a démarré.
Comment définir Delos aujourd’hui ?
De la manière la plus simple possible : Delos est la seule alternative mondiale à Copilot. Et nous allons au-delà. Imaginez que Notebook LM, Perplexity, Firefly, DeepL, ChatGPT, Superhuman, bref, toutes ces applications qui excellent dans leur domaine, se retrouvent toutes dans une seule suite bureautique et en plus 100% souveraine… C’est Delos.
Delos, c’est un espace de travail bureautique complet né de l’IA générative, par et pour l’IA générative. Recherche documentaire, traduction, résumé de réunion, analyse du web, traitement des e-mails, calendrier… Nous avons reconstruit toutes ces applications dont nous avons besoin au quotidien pour y intégrer une IA performante, facile à prendre en main et dont les bénéfices se font ressentir à chaque tâche.
Notre différence ? Là où beaucoup font une verticale, nous en faisons dix. Parce qu’avec l’IA générative, la vitesse change tout. Nous nous sommes tout de suite entourés d’ingénieurs d’un niveau exceptionnel et d’une curiosité qui permet d’adosser à leur expertise, une véritable vision.
En résumé, Delos réunit le meilleur de l’IA dans un seul environnement ?
Delos ce n’est pas de l’agrégation, c’est de l’orchestration. L’agrégation, c’est placer plusieurs modèles dans une seule interface. Avec Delos, on a choisi d’aller plus loin. On a construit un système qu’on appelle le « Superbrain », capable de choisir automatiquement, pour chaque requête, le meilleur modèle – ChatGPT, Claude, Gemini, Mistral, et bien d’autres – selon la tâche, la vitesse, la frugalité et la multimodalité. Au-dessus de ce « Superbrain », on a reconstruit toutes les applications.
Ainsi, même si vous n’avez aucune connaissance des modèles de langage et de leurs spécifités, notre “Superbrain” Delos va analyser votre demande, quelle que soit sa nature, et la mettre en perspective avec toute la multimodalité de l’IA générative (le traitement de la voix, le traitement du texte, le traitement de l’image…), afin de vous proposer la meilleure réponse.
Aujourd’hui, l’IA cumule certains défauts qui lui causent du tort : les hallucinations dans la recherche documentaire ou sur internet, des réponses évasives au style pas forcément très individualisé, une difficulté dans le fait de tirer son plus grand profit… Voilà ce qu’on a voulu résoudre avec Delos. On a voulu revenir aux fondamentaux de l’usage : quelque chose qui soit vite compréhensible, vite utile. Notre technologie novatrice permet de sortir des écueils de l’IA actuellement.
Qui sont vos clients ?
Aujourd’hui Delos, c’est des dizaines de milliers d’utilisateurs, un peu plus de 350 ETI, des membres du CAC 40 et une clientèle PME en croissance rapide. Delos est déjà très présent dans le luxe, le retail et l’industrie. Et nous arrivons dans le secteur public : notre architecture en plug and play permet de déployer des modèles souverains en environnements ultra-sécurisés, compatibles avec les normes ministérielles.
Vous avez levé des fonds face à des interlocuteurs très expérimentés. Comment gère-t-on cela à 23 ou 24 ans ?
Le plus important dans cet environnement, et peu importe son expérience, c’est de comprendre les règles du jeu. Pour la levée de fonds, il s’agit de comprendre ce que les gens assis autour de la table attendent, et donc se poser les bonnes questions : comment monter intelligemment un dossier, comment partager une vision très simplement.
La limite entre le visionnaire et le fou est très fine dans notre marché, et lorsqu’on s’avance en disant qu’on est la seule alternative à Copilot, un des plus grands géants de la tech au monde, il fallait savoir expliquer beaucoup de choses de manière très précise pour convaincre des personnes de suivre des jeunes comme nous.
Mais à la fin, l’épreuve du réel compte plus que tout. Et là, nous sommes convaincus de notre approche. Notre plus gros atout, c’est notre taux de succès : le nombre de personnes qui partent après avoir signé est infiniment faible – moins d’un pour cent. Dans ce monde burlesque de l’IA générative, où tout le monde reproche à l’IA générative d’être en bas de la courbe de Gartner, c’est-à-dire après l’enthousiasme initial et où on regarde avec beaucoup plus de prudence les produits qui s’avancent, pouvoir dire qu’on a résisté ces trois dernières années avec très peu de départs clients, c’est extrêmement rare et donc très valorisé.
Que vous a appris l’IÉSEG, que vous utilisez encore aujourd’hui ?
L’IÉSEG m’a offert cinq expériences professionnelles totalement différentes, qui m’ont énormément construit. Du premier stage très manuel à mettre des fruits et légumes sur les marchés dans le Sud de la France, jusqu’à un poste de responsable des achats à l’échelle mondiale chez Stellantis, j’ai énormément appris sur le terrain. Cet équilibre entre concret et théorique que l’école propose apporte beaucoup aux étudiants.
La deuxième force, c’est l’expérience à l’étranger. Partir loin, vraiment loin, ça change une personne. J’ai passé presque deux ans entre le Mexique et le Brésil. Ça m’a donné de l’autonomie, du courage, et un vrai détachement du regard des autres. Il y a peu de parcours où l’on peut vivre une expérience aussi formatrice aussi jeune.
Et puis il y a ce fameux cours de management par le théâtre, en première année. On n’avait pas le choix que de passer par le ridicule pour se débarrasser de toute notion de peur et libérer notre communication. Ça m’a véritablement transformé.
Vous venez de signer un partenariat avec l’IÉSEG. Quel lien souhaitez-vous entretenir avec l’école ?

La puissance d’un réseau, c’est quelque chose de magique. Je l’ai vécu en m’appuyant sur le réseau de l’IÉSEG et sur celui de l’école de mon frère, et c’est un élément majeur, notamment pour nous entrepreneurs. Je pense que l’IÉSEG a tout pour renforcer encore cette solidarité. Beaucoup de diplômés occupent de très beaux postes en entreprise, et pour en avoir ressenti l’importance et l’impact immédiat je serais ravi de contribuer à mon niveau à continuer de structurer le réseau des anciens.
Évidemment, au moment de signer ce partenariat, une dimension affective s’est directement fait ressentir : revenir dans son école, présenter son projet qui, d’une certaine manière, a aussi été façonné par les expériences que j’y ai vécues, c’est quelque chose de fort. Avec l’IA générative, on peut aider enseignants et staff administratif de l’École à gagner en efficacité pour se concentrer sur ce qui a de la valeur : l’accompagnement des étudiants. C’est une histoire extrêmement belle, et si Delos peut aider, j’en serais ravi.
Enfin, je veux partager largement l’audace d’oser. Lors d’un récent TEDx organisé par l’IÉSEG, j’ai insisté sur l’audace. Plus que jamais, l’IA générative peut nous permettre de faire des choses concrètes très rapidement. La séparation entre l’idée et le concret n’a jamais été aussi fine. Le profil de l’étudiant de l’IÉSEG – qui mélange rationalité, ouverture intellectuelle et sens pratique – a énormément de potentiel en entreprise et est idéal pour cette nouvelle ère technologique.
Pour conclure : quel conseil donneriez-vous à un étudiant qui veut se lancer dans l’entrepreneuriat ?
Je dirais malheureusement (ou heureusement !) qu’il n’y a pas de recette magique. Mais s’il faut retenir une chose, c’est qu’il faut être absolument passionné – si ce n’est un peu dérangé. Être prêt à travailler jour et nuit. L’écosystème va très vite : ce qu’on faisait en deux mois se fait aujourd’hui en deux jours. Et il faut accepter l’idée de l’échec. Nous avons raté six ou sept projets avant de parvenir à Delos, c’est bien signe que la maturité d’une idée ne s’acquiert pas qu’avec les échecs ! Mais si vous travaillez plus dur que les autres, que vous comprenez votre marché mieux que quiconque, et que vous y croyez profondément… alors un jour ça marchera. Il faut oser, il faut se lancer !