Retour

Avantages ou traitement de faveur : petit guide à l’usage des employeurs

Elise Marescaux

Professeur Elise Marescaux

D’après une interview d’Élise Marescaux et son article « Idiosyncratic Deals from a Distributive Justice Perspective: Examining Co-Workers’ Voice Behavior », coécrit avec Sophie De Winne et Luc Sels (Journal of Business Ethics, janvier 2017)*.

De plus en plus de salariés cherchent à négocier avec leur employeur des avantages répondant à leurs besoins individuels. Il peut s’agir d’horaires flexibles, d’un allègement de la charge de travail, d’une augmentation salariale, d’une formation etc. Face à ces demandes, l’entreprise s’interroge : comment être à la fois flexible et juste ?


Biographie

Depuis septembre 2015, Elise Marescaux est professeure assistante en gestion des ressources humaines à l’IÉSEG School of Management. Elle est titulaire d’un Doctorat en économie d’entreprise à l’Université de Leuven en Belgique (2013). Ses travaux de recherche portent sur les différences de traitement des collaborateurs en entreprise.


Méthodologie

Deux grands magazines belges sur le monde du travail ont relayé un sondage en ligne sur les salaires. Cette étude a totalisé 1988 répondants à qui il a été soumis différents scénarios de façon aléatoire : un collègue de travail a obtenu des horaires flexibles, un allégement de sa charge de travail ou une prime. Il leur a ensuite été demandé de réagir. Pour les uns, le travail de ce collègue joue un rôle clé au sein de l’ensemble de l’équipe. Pour les autres, le travail de ce collègue n’ajoute aucune valeur à l’équipe. Enfin, il a été demandé à tous les répondants s’ils se seraient plaints ou auraient sollicité une compensation supplémentaire après avoir eu connaissance de l’avantage de ce collègue.


Au fur et à mesure de l’avancée de leur carrière, de plus en plus de salariés cherchent à négocier avec leurs employeurs des avantages personnalisés. Cela peut se traduire par une prime, une formation ou des horaires plus flexibles. Les spécialistes américains qualifient ces accords individuels de « “deals” idiosyncratiques » qu’ils synthétisent en « i-deals », autrement dit, des accords particuliers.

Sur le papier, ces avantages profitent à l’employé et à l’employeur en boostant la motivation du collaborateur qui s’implique davantage dans son travail. Malgré tout, il n’existe que peu de littérature sur les effets directs de ces avantages. Élise Marescaux et ses collègues ont décidé d’en faire le sujet de leur étude. « De plus en plus de collaborateurs souhaitent être traités différemment, ils veulent être vus comme des individus ayant leurs propres besoins, leurs propres ambitions et leurs propres attentes, explique la chercheuse. Cependant, ces avantages ne vont pas sans susciter de la jalousie, de l’envie ou encore des conflits au sein d’une équipe. »

Le traitement de faveur et ses conséquences
Élise Marescaux et ses coauteurs ont analysé la manière dont des collègues de travail perçoivent divers i-deals. Ils ont également étudié le « comportement oral » de ces derniers, c’est-à-dire leur propension à se plaindre (auprès de leur manager, de leurs collaborateurs ou de la direction) ou à demander une compensation après avoir su que d’autres bénéficiaient d’i-deals. Le fait-même d’accorder des avantages particuliers à certains employés met le personnel sur un pied d’inégalité : les résultats de l’étude ne sont donc guère étonnants.

En effet, les chercheurs ont découvert que plus l’interdépendance est grande au sein d’une équipe, plus ses membres sont susceptibles de trouver ces accords injustes (et de s’en plaindre). En revanche, lorsqu’une équipe effectue son travail de manière plus indépendante, ses membres sont davantage disposés à entendre qu’un collègue très performant gagne plus d’argent.

Les primes : la plus grande source de ressentiment
Les recherches d’Élise Marescaux révèlent que les compensations financières sont, en général, les avantages jugés les plus injustes. Viennent ensuite les horaires flexibles, puis l’allégement de la charge de travail. Selon les chercheurs, l’explication tient au fait qu’une entreprise accorde plus facilement des avantages autres que financiers si un employé a des contraintes particulières (une mère célibataire devant récupérer ses enfants à une certaine heure, un homme s’occupant de sa femme malade, etc.).

Des collègues de travail sont effectivement à même de comprendre de tels besoins, tandis qu’il est plus difficile de justifier une prime. De plus, et à leur grande surprise, les chercheurs démontrent que l’allégement de la charge de travail est l’avantage considéré le plus juste (devant les horaires flexibles). Or, cela suppose une redistribution du travail et donc une charge supplémentaire pour le reste de l’équipe. Selon eux, cette hiérarchisation s’explique par le fait que ce type d’allègement est souvent accordé en cas de problèmes de santé, de stress ou de recherche d’équilibre entre vies privée et professionnelle. À l’inverse, les horaires flexibles sont généralement dus à de simples questions de planning.

Un environnement de travail juste (et transparent)
Pour la chercheuse, « les résultats de l’étude mettent en évidence que la raison motivant un i-deal est très importante. Si une équipe comprend pourquoi un avantage particulier est accordé à quelqu’un, elle sera beaucoup plus compréhensive. »

Par ailleurs, Élise Marescaux déconseille vivement de passer ces accords sous silence. Qu’il s’agisse d’horaires flexibles ou d’une formation, les i-deals passent rarement inaperçus dans l’environnement confiné d’un bureau. Car « les secrets ne le restent jamais bien longtemps », affirme l’auteure qui en veut pour preuve l’exemple d’un manager belge. Ce dernier mentait à plusieurs membres de son équipe en leur attestant qu’ils gagnaient plus que leurs collègues. « Son mensonge s’est vite retourné contre lui : l’équipe a découvert la vérité… et a fini par perdre toute confiance en lui. »


Cas pratiques

Élise Marescaux invite les managers à envisager les avantages non pas seulement du point de vue du salarié en question, mais également de ce que cela implique pour ses collègues. Cet aspect est d’autant plus important dans une équipe où les membres dépendent les uns des autres au quotidien. « Dans une dynamique d’équipe, accorder des avantages individuels est un véritable casse-tête », indique-t-elle. Elle recommande donc aux managers de soumettre la question des avantages particuliers – tels que les horaires flexibles ou un allègement de la charge de travail – au groupe. « Si la décision revient à l’équipe, les employés la considèrent plus juste car ils sont décideurs. » Le professeur reconnaît néanmoins que : « c’est un exercice délicat car, en tant que manager, vous renoncez à votre pouvoir décisionnel. » Elle conseille ainsi aux managers qui ne relégueraient pas cette décision au groupe de :
• communiquer ouvertement avec l’équipe,
• donner les justifications les plus objectives possibles en cas d’octroi d’avantages particuliers,
• trouver des solutions aux problèmes concrets qu’engendre un tel avantage (par exemple, des problèmes de coordination).


Idiosyncratic Deals from a Distributive Justice Perspective: Examining Co-Workers’ Voice Behavior », Journal of Business Ethics (2017), Elise Marescaux (IESEG School of Management), Sophie De Winne (KU Leuven) & Luc Sels (KU Leuven).


 

Pastille 60 ans de l'IÉSEG