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Comment mieux promouvoir l’entrepreneuriat au féminin

Janice BYRNE

Janice BYRNE

Basé sur un entretien avec Janice Byrne et son article, coécrit avec Salma Fattoum et Maria Cristina Diaz Garcia, « Stéréotypes et femmes entrepreneurs : La Superwoman entrepreneur a son mot à dire* » (Role Models and Women Entrepreneurs: Entrepreneurial Superwoman Has Her Say*, Journal of Small Business Management, 2018).

La société lutte pour l’égalité des genres. Cependant, le fossé entre les hommes et les femmes en matière d’entrepreneuriat reste important et les campagnes promouvant des modèles d’entrepreneuses n’aident pas à le combler. Une étude propose une nouvelle approche de modèles qui inspirera la prochaine génération de femmes entrepreneurs.


Biographie

Janice Byrne est professeure de comportement des organisations et de ressources humaines à l’IÉSEG School of Management. Elle est titulaire d’un doctorat de l’EMLYON Business School (France). Entre 2014 et 2018, elle a été directrice académique de Led By HER, un programme de formation à l’entrepreneuriat dédié aux femmes qui ont subi des violences et des préjudices graves.


Des inégalités frappantes entre hommes et femmes entrepreneurs

En Europe, on compte 6 femmes pour 10 hommes entrepreneurs. Inégalité d’autant plus visible que les hommes dominent les secteurs les plus lucratifs, tels que celui du bâtiment (98%), des transports (94%), ou encore de l’information et de la communication (77%). A titre de comparaison, Janice Byrne note que « les femmes entrepreneurs sont souvent confinées dans des domaines « traditionnellement féminins » tels que l’enseignement, la santé ou les services à domicile, et à des niveaux de rémunération inférieurs aux hommes. Il semble également que l’entrepreneuriat peut s’imposer aux femmes, plus par nécessité (souvent imposée par des circonstances familiales) que par opportunité ».

L’échec des campagnes de promotion

Pour rétablir l’équilibre hommes-femmes, des politiques gouvernementales ont récemment été mises en œuvre dans plusieurs régions. Celles-ci mettent en lumière des « success stories » au féminin, dans le but d’inspirer d’autres femmes. Ces campagnes sont conçues pour combattre les stéréotypes et montrer l’exemple. Pourquoi alors les femmes ne sont pas plus nombreuses à suivre l’exemple de celles qui ont brillamment réussi ?

« Les entrepreneuses à succès sont très médiatisées mais elles ne parviennent pas à inspirer la nouvelle génération de femmes », déclare la professeure Janice Byrne.

Byrne et son équipe ont cherché à comprendre ce phénomène. Ils ont étudié une campagne initiée par l’Agence pour la Création d’Entreprises (APCE) dans laquelle des entrepreneuses à succès étaient invitées à parler de leur réussite dans les salles de classe, à l’occasion de conférences, de débats ou encore d’ateliers de travail. Ces femmes entrepreneurs ont également partagé des messages sur Facebook dans lesquels elles détaillent leurs expériences entrepreneuriales et donnent des conseils aux jeunes femmes. « Celles-ci envoient aux autres femmes le signal suivant : ‘si je peux le faire, alors vous le pouvez aussi’ », explique Janice Byrne.

Ces « Superwomen » ne parviennent pas à briser les stéréotypes

L’équipe de recherche a étudié de très près les campagnes de communication lancées en France avec 51 entrepreneuses données en exemple. Elle a fait émerger un profil très uniforme de l’entrepreneuse à succès : la petite quarantaine, occidentale, diplômée de l’enseignement supérieur. Janice Byrne explique « qu’en général, en France, l’archétype de l’entrepreneuse à succès est une femme appartenant à la classe moyenne diplômée d’une école de commerce ou d’ingénieur de premier plan ». Une grande majorité de ces femmes peut être qualifiée de ‘Superwoman’, car elles parviennent à combiner responsabilités professionnelles et responsabilités familiales ». Selon Janice Byrne, si les campagnes de promotions ont été un échec, c’est qu’elles érigent un modèle d’entrepreneuse éloigné de la réalité et difficile à imiter ».

« Le groupe formé par ces entrepreneuses à succès ne favorise ni la diversité ni l’inclusion et ne permet pas de briser les stéréotypes. Elles peuvent s’aliéner plus qu’elles n’inspirent ». Pour encourager plus de femmes à entreprendre, les personnes données en exemple devraient refléter la diversité de la population, particulièrement en termes d’ethnicité et d’éducation. « Les femmes ne se comparent pas seulement aux autres femmes, elles se comparent à celles qui se trouvent dans la même situation qu’elles. Par exemple, les femmes qui ont des enfants regardent les autres mères. De même, les femmes issues de minorités ethniques vont naturellement se rapprocher de celles qui ont les mêmes origines ».

Le renforcement des inégalités de genre

En étudiant les discours des entrepreneuses citées en exemple, les chercheuses montrent que les femmes évoquent leur parcours entrepreneurial d’une manière qui tend à renforcer les inégalités hommes-femmes. Le plaisir est notamment une notion qui revient souvent dans le discours de ces entrepreneuses ; elles le font très certainement dans le but d’encourager les autres, mais, selon Janice Byrne, ces « fun-preneuses » contribuent à renforcer les stéréotypes concernant les femmes et leur positionnement par rapport aux hommes, qui semblent prendre leur condition d’entrepreneur plus au sérieux.  Janice Byrne remarque également que « les femmes parlent beaucoup du fait qu’elles apprennent de leurs erreurs, ce qui laisserait penser qu’elles sont des entrepreneurs de seconde classe. Les hommes commettent également des erreurs mais ils n’insistent pas dessus ».

Les femmes finissent par véhiculer l’idée selon laquelle l’entrepreneuriat est l’alternative appropriée pour celles qui, en raison de circonstances personnelles, sont incapables de s’insérer dans le monde du travail traditionnel. Certaines femmes déclarent, par exemple, avoir créé leur propre entreprise en réponse à des horaires de travail rigides. Cette attitude normalise le traitement discriminatoire des femmes sur le lieu de travail et sape l’image de l’entrepreneuriat au féminin. En conclusion, Janice Byrne pose la question suivante : « On demande aux femmes de changer pour pouvoir s’intégrer au système, mais ne faudrait-il pas plutôt changer le système pour tenir compte des besoins des femmes ? ».


Mise en pratique

« Les personnes données en exemple pour promouvoir l’entrepreneuriat doivent représenter un éventail plus large de la société, de manière à inspirer les femmes de tous horizons et quelles que soient leurs circonstances personnelles », déclare Janice Byrne. Elle suggère également que les entrepreneurs masculins (en particulier ceux qui concilient entreprises et vie de famille, et ceux qui travaillent dans des secteurs perçus comme féminins), doivent jouer un rôle dans les campagnes de promotion.
« Nous devons lutter de différentes manières contre l’inégalité entre les genres et éliminer les stéréotypes ainsi que les idées toutes faites concernant les activités dites ’féminines’ et ‘masculines’ »

Méthodologie

Les auteurs ont procédé à une analyse approfondie du discours tenu par 51 femmes sur Facebook, dans le cadre d’une campagne française visant à inciter les femmes à devenir entrepreneur. La campagne se déroule sur une base annuelle et les chercheurs se sont concentrés sur les exemples présentés sur une période de deux ans, entre 2014 et 2015. Ils ont rassemblé des données supplémentaires sur les exemples cités, en complétant chaque profil professionnel et personnel par les informations obtenues sur LinkedIn et d’autres médias en ligne.


*Role Models and Women Entrepreneurs: Entrepreneurial Superwoman Has Her Say*” (Journal of Small Business Management, 2018), Janice Byrne (IÉSEG School of Management) Salma Fattoum (INSEEC Business School and Maria Cristina Diaz Garcia (University of Castilla La Mancha, Spain).

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